mardi , 19 mars 2024
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Les Helvètes

Le Mormont, un site archéologique et historique d’importance majeure

Texte rédigé par Caroline Sonnay, biologiste.

En 2006, un site archéologique d’importance européenne datant de l’âge du Fer est découvert près du sommet du Mormont. Il s’agit d’un lieu de culte Helvète, unique à ce jour en Gaule[1] et susceptible d’apporter bon nombre d’éléments nouveaux sur la culture de nos ancêtres celtes. A côté de cette découverte exceptionnelle, le Mormont présente d’autres éléments historiques de tous âges démontrant son occupation et son importance au fil des siècles.

Le 27 février 2006, alors que les pelleteuses se mettent au travail sur un nouveau secteur d’exploitation de la carrière d’Holcim, des indices d’occupation datant de l’âge du Fer (750-50 avant J.-C.[2]) sont découverts dans une combe proche du sommet du Mormont, à environ 570 mètres d’altitude[3]. Interprétés d’abord comme les restes d’une habitation, ils motivent le Service archéologique cantonal à organiser une fouille préventive du site[4]. Celle-ci commence en juin de la même année et mène à la découverte de ce qui va en fait se révéler être « un site exceptionnel et d’un genre encore inconnu en Suisse : un sanctuaire celtique où les Helvètes de cette région ont pratiqué des rites étonnants »[5]. Cette découverte datée d’environ 100 ans avant J.-C.[6] est à ce jour unique en Gaule[7]. Selon Denis Weidmann, archéologue cantonal vaudois à l’époque des fouilles, elle est considérée d’importance européenne pour l’étude de la religion celte[8]. L’intérêt de ce site s’explique par « la richesse des dépôts d’offrandes, ses dimensions et son état de conservation inhabituel »[9]. Une importance reconnue également par Holcim [10] : « jamais auparavant un tel sanctuaire n’avait été mis à jour ».

Cette première fouille de grande ampleur doit être conduite dans l’urgence sous la pression des délais imposée par l’exploitation future de la roche par Holcim, propriétaire de la cimenterie. L’équipe d’archéologues accomplit alors une véritable performance en réussissant à fouiller le site en l’espace de neuf mois[11], à la place des deux à trois ans nécessaires selon le Professeur émérite de préhistoire de l’Université de Berne, Hans-Georg Bandi[12] – qui parle de « fouille de sauvetage » et regrette le manque de temps et les moyens insuffisants laissés à ce chantier – tout en assurant la qualité de la documentation du site[13]. La multiplication des découvertes et l’extension constante du site d’investigation leur rendent la tâche encore plus difficile[14]. Lors des étapes suivantes d’extension de la carrière, en 2008 et 2009, de nouvelles découvertes sont encore réalisées.

Des découvertes impressionnantes

Quelque 300 structures (fosses, trous de poteau, foyers, blocs de signalisation, petits fossés et tronçon de route)[15] sont découvertes, dont plus de 260 fosses interprétées comme de véritables puits à offrandes[16]. D’un diamètre pouvant atteindre plus de deux mètres pour une profondeur allant jusqu’à près de cinq mètres[17], ces puits contiennent des offrandes votives[18] réparties sur plusieurs couches et composées d’objets du quotidien très divers – récipients en céramique et en bronze, pierres de meules à grain, grands outils en fer, bijoux et monnaies – mais également d’ossements d’origines animale et humaine[19]. Ces derniers nous dévoilent une facette plus violente des coutumes helvètes[20]. En effet, selon Gilbert Kaenel, directeur du Musée cantonal d’archéologie et d’histoire de Lausanne, « un faisceau d’arguments fait penser qu’on a effectivement, dans des conditions extrêmes, par exemple lorsque la cité était menacée, sacrifié des personnes, peut-être des prisonniers de guerre »[21].

Mais les autres objets récoltés apportent également des informations sur le mode de vie des Helvètes. Les nombreuses céramiques découvertes au Mormont nous renseignent par exemple sur les échanges qu’ils avaient avec les autres populations de la région : si une grande partie de ces objets semblent avoir été produite localement, d’autres se rattachent, par leur forme ou leur décors, à des productions de la région yverdonnoise et seuls quelques fragments d’amphores témoignent d’échanges commerciaux à longue distance[22]. La présence de restes de quelques grands chevaux d’origine méditerranéenne, figurant parmi les premiers animaux d’importation en Gaule[23], représente quant à elle un élément majeur pour l’histoire de l’élevage en Europe[24]. Finalement, les collections d’objets en bronze et en fer récoltés au Mormont sont les plus importantes pour l’âge du Fer en Suisse.

Du temps de son utilisation, le sanctuaire du Mormont a pu être fréquenté par de nombreuses personnes à l’occasion de festivités récurrentes, comme la fête des récoltes ou la fête des morts, et des événements plus tragiques, comme une guerre, une épidémie ou une période de sécheresse, nécessitaient peut-être l’organisation de rituels en vue d’obtenir l’aide ou la protection des dieux[25].

A quelles divinités ces offrandes étaient-elles dédiées ?

Selon Caroline Brunetti[26], responsable des fouilles pour la société Archeodunum, il est évidemment trop tôt pour se prononcer sur cette question. Mais plusieurs hypothèses sont avancées : elles pourraient être adressées à des divinités liées au monde sacré souterrain. Le creusement des fosses serait alors un moyen de se rapprocher au plus près physiquement et spirituellement de celles-ci. Elles auraient également pu être dévouées, au vu de la grande quantité de pierres de meules à grain déposées, à des divinités liées au domaine agraire et à la fertilité[27]. Enfin, la position du sanctuaire, au sommet d’une colline, permet également de croire que les rituels étaient adressés à des divinités célestes[28].

Enfin, « la colline du Mormont pourrait aussi constituer elle-même une seule et grande entité sacrée. Le fait de creuser dans ses profondeurs pour déposer des offrandes serait ainsi déjà, en soi, un geste de grande valeur spirituelle »[29].

Des surprises sont encore à prévoir

Pour le moment, aucune trace d’habitat de l’époque n’a été trouvée sur le site ou dans ses alentours immédiats[30]. Il serait toutefois étonnant que les Helvètes aient creusé quelque 300 fosses au sommet du Mormont sans infrastructures à proximité. En prime, vu que les limites du site n’étaient pas encore atteintes lors de la fouille de 2009, on peut s’attendre à découvrir des aménagements en relation avec les puits à offrandes, des emplacements pour les cérémonies et autres banquets communautaires, des routes d’accès, des maisons, des sépultures, etc.[31] Le Mormont risque donc de réserver encore d’autres surprises aux archéologues dans les années à venir…

Le Mormont : un site d’importance pour toutes les époques

A côté de cette découverte exceptionnelle, d’autres éléments historiques situés ailleurs sur le Mormont, démontrent son occupation et son importance au cours des siècles. Il s’agit de traces d’industries moyenâgeuses (exploitation du bois, du fer et de la chaux, ainsi que production de pierres de taille[32])[33], ainsi que de voies de communication datant de l’époque romaine et du XVIIe siècle.

Le Mormont fut en effet utilisé au Moyen-Age comme poste de garde et de signal ainsi que pour la production de la chaux, tandis que les villages d’Eclépens et de La Sarraz se disputaient le droit d’y faire paître les chèvres et de tailler ses arbres[34]. A côté de cela, les ateliers de réduction du minerai de fer retrouvés dans la région du Mormont datent majoritairement du Haut Moyen Âge[35], période à laquelle a eu lieu le gros de l’exploitation. Dans un seul cas, il a été possible de mettre en évidence des traces d’activités pouvant remonter à l’âge du Fer (niveau inférieur du site des Bellaires)[36].  

Son importance comme lieu de passage est également prouvée par la présence de deux voies romaines, parcourant le Mormont du nord au sud où elles aboutissaient aux sites préhistoriques des Marais,[37] et du canal d’Entreroches. Ce dernier a été construit au XVIIe siècle par les Hollandais dans le but de relier le Rhône au Rhin et de permettre l’échange de marchandises entre Amsterdam et Venise en évitant les écueils de la mer. Le tronçon réalisé, reliant Yverdon à Cossonay, fut ouvert à l’exploitation en 1664. Mais, faute d’argent, le lac Léman ne fut jamais atteint et le canal connut la déconfiture en 1829, année de sa fermeture. Les vestiges de son tracé, encore visibles dans les gorges séparant les collines de Sur Chaux et de Telleriat, sont aujourd’hui classés monument historique[38]. Ces trois voies de communications sont en outre répertoriées à l’Inventaire fédéral des voies de communication historiques (objets VD 59.1 et 59.2).

Finalement, le Domaine du Château d’Eclépens est l’un des plus vieux domaine viticole du canton de Vaud, voir de Suisse.


[1] Nom donné par les Romains aux territoires peuplés par les Celtes, territoires qui comprenaient la quasi-totalité de la France actuelle, la Belgique, le Luxembourg, le nord de l’Italie, une partie des Pays-Bas et de l’Allemagne, ainsi que le Plateau suisse (fr.wikipedia.org, 28.1.2013).

[2] www.larousse.fr, 30.1.2013.

[3] Reymond, 2006.

[4] Brunetti et al., 2009.

[5] Reymond, 2006.

[6] Cardellicchio et Hefti, 2008.

[7] Kaenel et Weidmann, 2007.

[8] Ramoni, 2006.

[9] Brunetti et al., 2009.

[10] Holcim, 2011.

[11] Cardellicchio et Hefti, 2008.

[12] Bandi, 2007.

[13] Kaenel et Weidmann, 2007.

[14] Kaenel et Weidmann, 2007.

[15] Cardellicchio et Hefti, 2008.

[16] Kaenel et Weidmann, 2007.

[17] Cardellicchio et Hefti, 2008.

[18] Objet déposé dans un lieu sacré à l’intention d’une divinité en vue d’en obtenir la réalisation d’un vœu (fr.wikipedia.org, 28.1.2013).

[19] Brunetti et al., 2009.

[20] Brunetti et al., 2009.

[21] Michel, 2012.

[22] Brunetti et al., 2009.

[23] Kaenel et Weidmann, 2007.

[24] Brunetti et al., 2009.

[25] Cardellicchio et Hefti, 2008.

[26] Brunetti et al., 2009.

[27] Cardellicchio et Hefti, 2008.

[28] Kaenel et Weidmann, 2007.

[29] Cardellicchio et Hefti, 2008.

[30] Cardellicchio et Hefti, 2008.

[31] Brunetti et al., 2009.

[32] OFEV, en révision.

[33] Blanc, 1991.

[34] Hefti et Cardellicchio, 2008.

[35] Première des trois subdivisions principales du Moyen Âge. Il débute à fin du Vème siècle et se termine à la fin du IXème siècle (fr.wikipedia.org, 28.1.2013).

[36] Pelet, 1993.

[37] Blanc et al., 1989.

[38] CFF, 1989.

Références :

  • BANDI H.-G., 24.7.2007 : Le Mormont. Grandeur et misère d’un sanctuaire helvète in Horizons et débats n° 28 (http://www.voltairenet.org/article150357.html).
  • BLANC P., CHENEVAL G., DUMONT C., 1989 : Le Mormont. Conception de l’exploitation de la carrière dans le cadre de la protection du site du Mormont. Rapport préliminaire, 18 pp.
  • BLANC P., 1991 : Le Mormont. Synthèse des sites exploitables, 12 pp.
  • BRUNETTI C., BUCHSENSCHUTZ O., DIETRICH E., KAENEL G., MENIEL P., MOINAT P., NITU C., PIGNAT G. et SERNEELS V., 2009 : Le Mormont, un sanctuaire des Helvètes en terre vaudoise vers 100 avant J.-C., éd. Archéodunum, Lausanne, plaquette de 16 pp.
  • CARDELLICCHIO F. et HEFTI I., 2008 : Les fouilles archéologiques du Mormont, 5 pp. (www.lacollinedesceltes.ch).
  • CFF, 1989 : Rail 2000 : nouveau tunnel à Eclépens in Magazine CFF, 1/89, pp. 12-13.
  • HEFTI I. ET CARDELLICCHIO F., 2008 : Au fil du temps, 4 pp. (www.lacollinedes
    celtes.ch).
  • HOLCIM, 11.2011 : Nouvelle étape de fouilles archéologiques sur le Mormont in Clin d’œil, p. 2.
  • KAENEL G. et WEIDMANN D., 2007 : Découverte celtique exceptionnelle en 2006. Le « sanctuaire » helvète du Mormont in Nike-Bulletin 4, pp. 16-21.
  • MICHEL F., 12.6.2012 : Bienvenue chez les Celtes in Journal Coopération, pp. 58-61.
  • OFEV, en révision : IFP 1023 Le Mormont, 8 pp. (nouvelle fiche descriptive de l’objet IFP Mormont).
  • PELET P.-L., 1993 : Une industrie reconnue. Fer, Charbon, Acier dans le Pays de Vaud in Cahiers d’Archéologie Romande, 60, Lausanne, 142 pp.
  • RAMONI M., 24.9.2006 : Panoramix nous a dit-il la vérité sur les druides ? in Le Matin, p. 67.
  • REYMOND J.-F., 29.9.2006 : Le Mormont livre de très vieux secrets in Journal de Morges, p. 33.
  • ROULET Y., 21.11.2011 : Des Montagnes à recoudre in Le Temps, p. 3.
  • RTS INFO, 21.9.2006 : Vaud : sanctuaire celtique sur le Mormont (http://www.rts.ch/info/sciences-tech/1100035-vaud-sanctuaire-celtique-sur-le-mormont.html)
  • fr.wikipedia.org, 28.1.2013.
  • www.larousse.fr, 30.1.2013.
Les Helvètes au Mormont: quelques liens